lundi 11 mars 2019

"Hijab" de running: here we go again (et c'est reparti)

La semaine du 25 février (il y a deux semaines donc), on a eu droit à une magnifique polémique qui nous a bouffé une partie de la semaine, avant de retomber aussi sec comme un soufflé. Cette polémique concerne - une nouvelle fois et pour ne pas changer - les femmes musulmanes qui portent un voile. Cette polémique est initiée - encore une fois et pour ne pas changer - par des islamophobes de tout bord. Et quand je dis de tout bord, je pense à un groupe très particulier qui se dit de gauche, luttant pour la laïcité (mais entre nous, on sait que ce n'est uniquement que de l'islamophobie) et qui a la particularité d'agir en meute sur les réseaux sociaux (en particulier Twitter). Mais je n'en dirais pas plus.

Autopsie de cette polémique.

I- Le commencement: Décathlon commercialise un "hijab" de running...


Résultat de recherche d'images pour "hijab de running"

... Mais pas en France, au Maroc. Au commencement de la polémique, ce hijab de running n'était proposé que dans les magasins Décathlon du Maroc. Selon les responsables de l'enseigne, "cet accessoire a été initialement développé et commercialisé au Maroc, à la demande de pratiquantes locales de course à pied". Ce n'est que plus tard qu'il devra être rendu disponible dans les magasins des autres pays, selon la demande.
"Nous assumons complètement le choix de rendre le sport accessible pour toutes les femmes dans le monde. C'est presque un engagement sociétal, si cela permet à des coureuses de pratiquer la course à pied, nous l'assumons avec sérénité" 
"L'engouement pour le produit a fait que nous nous sommes posés la question de le rendre disponible" ailleurs qu'au Maroc, a ajouté Xavier Rivoire, soulignant que "ce couvre-tête laisse le visage libre et visible". 
Responsable du jogging chez Kalenji, la gamme de course à pied de l'enseigne, Angélique Thibault, qui a conçu le "Hijab Kalenji", se dit "mue par la volonté que chaque femme puisse courir dans chaque quartier, dans chaque ville, dans chaque pays, indépendamment de son niveau sportif, de son état de forme, de sa morphologie, de son budget. Et indépendamment de sa culture".
Extrait de l'article de France 24

Décathlon répond donc à une demande d'une certaine catégorie de population, à savoir les femmes musulmanes qui portent un voile et qui pratiquent un sport. Mais cela ne va pas être du goût de tout le monde en France.

II- La suite: la polémique enfle en France


L'information de la future commercialisation du hijab de running de Décathlon a vite fait le tour de la fachosphère (pour ne pas changer). Le hashtag #BoycottDecathlon a fini en TT. Et ça a fini par arriver aux oreilles de politicien.ne.s qui y sont allé.e.s de leur petit commentaire sur le sujet, pendant les émissions de radio, sur Twitter ou encore entre deux dégustations de fromages régionaux au Salon de l'Agriculture.

"J'ai deux filles et je n'ai pas envie qu'elles vivent dans un pays où la place des femmes dans la société régresse comme en Arabie Saoudite" Nicolas Dupont-Aignan 
"Le sport émancipe. Il ne soumet pas. Mon choix de femme et de citoyenne sera de ne plus faire confiance à une marque qui rompt avec nos valeurs.
Ceux qui tolèrent les femmes dans l'espace public uniquement quand elles se cachent ne sont pas des amoureux de la liberté. #Decathlon"
Aurore Bergé 
"La société française, c'est une société qui dans sa tradition refuse qu'on couvre le visage et le corps humain à l'excès [...] l'image de la femme en France, c'est une image de liberté" François Bayrou
Je vous fait grâce des réactions du RN (anciennement FN)

III- La conclusion: pas de commercialisation en France




Après les menaces physiques et les insultes envers les équipes des magasins et sous pression à cause de cette polémique, l'enseigne de sport finit par renoncer à la commercialisation du hijab.
"Nous prenons effectivement décision en toute responsabilité, en ce mardi soir, de ne pas commercialiser à l'heure qu'il est ce produit en France" 
Le directeur de la communication de Décathlon (RTL)

Rien à ajouter, à part que les islamophobes ont encore gagné. Et visiblement personne ne s'en émeut. Et personne ne s'émeut des menaces reçues par les employé·e·s de Décathlon. Au calme...


Un mauvais remake de la polémique burkini de 2016


Une nouvelle fois, la fachosphère donne le top départ et la direction à prendre en ce qui concerne les polémiques. Pas grand chose à voir avec le sujet de cet article, mais on se rappelle de la polémique autour de la chanteuse Mennel ou de la polémique sur le festival afroféministe Nyansapo et de comment elles ont démarré. C'est dire la situation politique de ce pays. 

Comme pour la modest fashion (mode pudique), le burkini et si on remonte un peut plus loin, l'histoire de la jupe Kiabi de Charleville-Mézières, on ne peut que constater que les islamophobes de tout poil et de tout bord (de droite comme de gauche, des fachos de l'extrême-droite au PR, des féministes ""universalistes"" aux fémonationalistes) ont une nouvelle fois interprété le fait qu'une enseigne réponde à une demande d'une catégorie de population comme le signe de l'islamisation de la France et d'une régression du droit des femmes. 

Cela fait quelques mois, peut-être même plus, qu'un hijab de sport est vendu par Nike. Mais au final, le hijab de running de Décathlon ne sera pas commercialisé en France. Comme pour le burkini, la France s'est émue pour quelque chose qui existe depuis pas mal d'années. Et la France se tape une nouvelle fois une honte internationale à ce sujet. Comme pour l'histoire du burkini.


Paternalisme, défense des droits des femmes, laïcité républicaine... avec islamophobie et racisme bien sûr! 


On a pu lire ou entendre que cela va à l'encontre des valeurs de la France (lesquelles?), que cela ne respecte pas le principe de la laïcité (enfin, soyons sérieux·ses, leur idée fausse de la laïcité), que cela efface les femmes de l'espace public, ou encore que le message envoyé par ces femmes musulmanes qui portent le voile est qu'elles refusent de coucher avec un non-musulman (WTF?!).

Ce qui est drôle (ou pas), c'est que ces ardent·e·s défenseur·euses de la liberté des femmes ne respectent pas la liberté de certaines femmes à disposer de leur corps comme elles le souhaitent. Comme d'habitude, iels défendent leur idée de la liberté des femmes au détriment de femmes déjà fragilisées par l'islamophobie ambiante. Et c'est au nom de leur idée de la liberté et de leur idée de la laïcité que toutes ces personnes soucieuses se permettent de discriminer, harceler, de clouer au pilori des jeunes filles, des jeunes femmes et des femmes déjà très fragilisées par l'islamophobie ordinaire de ce pays. Hum, drôle de manière d'affirmer ses valeurs hein? Liberté, égalité, fraternité? Where?

Ce qui est aussi drôle (toujours pas), c'est qu'iels veulent lutter contre l'effacement des femmes dans l'espace public en voulant interdire le voile islamique. C'est-à-dire en effaçant tout simplement les femmes musulmanes qui portent un voile de l'espace public. Toujours au nom de cette sacro-sainte laïcité.
"La notion même de laïcité est galvaudée. La laïcité « républicaine » tend à [...] « neutraliser » tou·tes les musulman·es. [...] Tout ce qui rend les musulman·es visibles doit être effacé au nom de cette laïcité agressive" (extrait de cet article, oui je m'auto-cite lol) 
J'en avais déjà parlé dans cet article il y a pratiquement 3 ans. Triste de constater que rien n'a beaucoup changé depuis et que ça tend à empirer.


Quid des premières concernées? 


Pendant toute la durée de la polémique, on a écouté, invité, interviewé, donné la parole sur ce sujet à n'importe qui. Mais les premières concernées dans tout ça? Où sont passées les femmes musulmanes qui portent le voile? Et ben comme d'habitude, aucun média ne leur a tendu le micro (à l'exception de C News). Comme d'habitude, on a pris grand soin de les ignorer et de ne pas les écouter. Comme d'habitude, les white feminists et leurs alliés profems en carton ont pris grand soin de s'accaparer le sujet et de ne laisser place à quasiment aucun contradicteur (même Clément Viktorovitch a eu les plus grandes difficultés à se faire entendre).

Here we go again...


Pour conclure 


Cette dernière polémique concernant les femmes musulmanes montre à quel point l'islamophobie dans ce pays est présente. Elle montre le paternalisme dont font preuve les féministes universalistes à essayer de "libérer, délivrer" les femmes musulmanes qui portent le voile. Elle montre à quel point les islamophobes sont prêt·e·s à détourner la notion de laïcité pour que ça colle avec leurs idées rances. Elle montre aussi que les islamophobes s'imaginent des choses totalement grotesques concernant la vie de ces femmes musulmanes. Iels tergiversent sur ces sujets. Iels jouent aux expert·e·s. Iels parlent d'elles à longueur de temps, mais iels ne parlent pas avec elles. En même temps, pourquoi parler avec elles? C'est tellement plus simple de parler à leur place!

Et pourtant, ces femmes ont beaucoup, beaucoup de choses à nous dire, à vous dire. Il faudrait peut-être les écouter non?
⇒ Témoignages suite aux propos de Laurence Rossignol sur l'esclavage et le port du voile
Un article de Lallab à propos de cette polémique
Témoignage de Lallab sur LCI

Et peut-être devrait-on songer à réellement combattre l'islamophobie sous toutes ses formes, même la plus "républicaine". Et si votre féminisme consiste à exclure ou à rendre difficile la vie de certaines femmes, parce qu'elles ne correspondent pas à votre idéal ou à votre vision de "la femme", le problème vient un peu de vous.

"Il serait temps d’appliquer ce principe féministe du droit à disposer de son corps. Une femme en hijab ne vaut pas moins, ou pas plus qu’une femme sans hijab. Une femme en burkini ne vaut pas moins, ou pas plus qu’une femme en bikini."

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