lundi 28 août 2017

Quand un·e anti-raciste raisonne comme un·e blanc·he qui veut se dédouanner

Quand je parle de racisme structurel, de la colonisation et de la traite négrière trans-atlantique sur Twitter, il y a toujours une personne blanche qui se ramène pour me dire: "et la traite arabo-musulmane, on en parle?!", "et le racisme anti-blanc? hein?!".

Oui, cela m'est arrivée pas mal de fois. Et c'est vraiment drôle, parce que je sais qu'iels essaient juste de se dédouaner et/ou détourner la conversation sur autre chose (quand ce n'est pas pour nous servir des "ouin on nous demande de faire de la repentance!")

vas-y pleure mon chou·e, ça fait du bien...

Tou·te·s les racisé·e·s militant·e·s anti-racistes dans cette situation en connaissent l'issue, mais également la fatigue que ça engendre de devoir recentrer le débat parce que cette conversation fait mal au petit coeur de Jean-Charles Égo Fragile.

Je croyais qu'il n'y avait que les Jean-Charles Égo Fragile qui pouvaient te faire ce genre de phase. Jusqu'à ce que je voie cette publication Facebook qu'on m'a envoyée (je ne dirai pas de qui c'est, je vous laisse un petit suspense.)



Je précise que cette publication vient d'un·e militant·e anti-raciste d'origine maghrébine.

Vous pensez que la personne s'est arrêtée là? Attendez de voir la suite...


Alors là, c'est le pompom...

Mais au fait, c'est quoi le problème de cette publication?


Déjà, la première chose flagrante, c'est que cette personne essaie de décaler le sujet de base, qui est la négrophobie au Maghreb, à un autre sujet: la xénophobie des Antillais·es envers les Africain·e·s ou celle des Africain·e·s envers les Roms. Ça ne vous rappelle rien? Bah Jean-Charles qui a mal au coeur parce qu'on parle de la traite négrière trans-atlantique et qui va dévier la conversation de base vers la traite négrière arabo-musulmane. Même mécanisme de déviation du sujet.

La deuxième chose qui me dérange, c'est qu'elle met sur le même plan la négrophobie structurelle au Maghreb (parce que c'est de ça dont il est question) et la haine entre les Antillais·e·s et les Afrincain·e·s et celle envers les Roms. La négrophobie au Maghreb est systémique, et elle se manifeste un peu partout dans la société. Ce qui fait que les Maghrébin·e·s sont clairement privilégié·e·s face aux afro-descendant·e·s.
De l'autre côté, le fait d'avoir la nationalité française confère bien un privilège, mais pas assez pour être dominant dans la société (surtout dans les DOM-TOM). Quant à la romophobie, il est sous-entendu que cette romophobie est inhérente aux Africain·e·s. Or, si on parle de la France, c'est quelque chose de très généralisé dans ce pays et sûrement dans les pays voisins.

La dernière chose, un peu moins flagrante mais pas moins dérangeante, c'est cette phrase: "le racisme intra-communautaire ne s'arrête pas aux Arabes (ou aux Musulmans)"
Genre les musulman·e·s noir·e·s ou indien·ne·s ça n'existe pas...
Essentialisation bonjour!!

Voilà comment on dévie du sujet de la négrophobie structurelle du Maghreb.
En faisant cela, le·a militant·e a exactement le même comportement que les blanc·he·s qui font des tears quand on parle du racisme structurel en France ou de la traite négrière. C'est beaucoup de mauvaise foi, de malhonnêteté et de bancalité. Et venant d'un.e militant.e anti-raciste qui parle beaucoup du racisme structurel et institutionnel en France, c'est vraiment étonnant.

Ou pas.
Ce n'est malheureusement pas la première fois que je vois ce genre de choses.

Confondre (sciemment?) la xénophobie entre racisé·e·s, les privilèges administratifs (nationalité, titre de séjour ou carte de résident) avec le racisme structurel, c'est quand même un comble pour quelqu'un impliqué dans la lutte anti-raciste, non? Et utiliser la rhétorique du "mais vous même vous êtes racistes entre vous", comme les blanc·he·s, à qui on reproche justement cette phrase? Oups...
Il va peut-être falloir se poser des questions non?

(Au fait, c'est Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigène de la République qui nous a sorti ça.)

3 commentaires:

  1. Bonsoir,
    Ces questions m'intéressent énormément et là j'ai l'impression que c'est un mauvais procès que tu fais à ce militant anti-raciste.
    Par exemple, il ne dit nulle part ni ne suggère que ce racisme venant de qui que ce soit est "inhérent" à qui que ce soit, il dit très clairement : "...et tout cela est un PROCESSUS HISTORIQUE qui prend sa source dans le COLONIALISME et la constitution des Etats-nations" (c'est moi qui souligne).
    Ce qu'il fait, en fait, en tout cas de ce que je comprends à la lecture des extraits que tu as partagés, c'est reprendre les analyses psychologiques du phénomène de l'aliénation au racisme chez les populations colonisées décrit et théorisé par Frantz Fanon dans "Peau noire, masques blancs". Personnellement, cette lecture m'a touchée en plein cœur à maints égards et a éclairé ma perception du monde de manière nouvelle et drastiquement transformatrice. Grâce à lui, ma compréhension historique, sociologique et psychologique des mécanismes insidieux du racisme, mais aussi par association du sexisme, s'est affinée d'un coup d'une façon foudroyante.
    Je ne vois donc pas en quoi il est répréhensible de faire référence à ce monument de la pensée anti-raciste dans un moment où on parle d'une forme de racisme qui est exercée par une population qui est elle-même victime de racisme en France.
    Ce qui vous divise sur le sujet ne me semble pas être que tu es dans le vrai et lui est dans le déni qui évite de parler des sujets qui le fâchent ; ni le contraire non plus, d'ailleurs. A mon sens, c'est "juste" qu'à l'instant T vous prenez la question du racisme selon un prisme critique différent. Lui, là, à cet instant, il fait référence au racisme en tant qu'idéologie (formée et imposée politiquement) qui s'immisce dans l'esprit des individus et vient à façonner leur pensée et leur comportement vis-à-vis de "l'Autre" qui en est la cible (dans la mesure où il parle apparemment à des néophytes qui semblent "découvrir" que d'autres populations que le monde occidental blanc peut se comporter de manière raciste envers une autre catégorie de population, et que ces néophytes qui n'ont jamais réfléchi à la question se demandent "comment c'est possible"). Tandis que toi tu parles du racisme institutionnel, inscrit dans le marbre de la loi et du fonctionnement d'un pays, qui va venir systématiquement discriminer une partie de la population, et réserver la jouissance de privilèges à une autre.
    A mon sens, les deux approches n'ont pas à être opposées. La plupart du temps, elles coexistent, et elles se nourrissent et se renforcent mutuellement. Le racisme de type institutionnel construit systématiquement et diffuse l'idéologie pour convaincre l'ensemble de la population (victimes comprises) que ce système est justifiable et justifié, et une fois que l'idéologie raciste est bien implantée dans la psychologie des individus, une minorité de militants peut avoir travaillé à faire abroger les lois racistes, ou bien quelqu'un d'originaire de ce pays peut partir vivre ailleurs dans un pays sans racisme institutionnalisé pour sa vie entière sans jamais revenir au pays où c'est le cas, les préjugés et les comportements racistes vont continuer de faire leur chemin dans leur tête et celle de toutes les personnes que ces individus vont influencer, et ne vont pas cesser de faire des dégâts concrets sur les cibles de cette idéologie raciste...

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  2. Ne vaut-il pas mieux se donner la main et combattre en commun les deux terrains (institutionnel et idéologique/"psychologique") sur lesquels le racisme prolifère pour se perpétuer plutôt que de contredire les un·es les autres en se reprochant mutuellement de ne pas adopter d'emblée le prisme de l'un·e ou de l'autre ?
    Enfin, j'espère que tu ne prendras pas mal cette analyse, j'espère que je ne me trompe pas et que je ne suis pas trop naïve. Mais il me semble que ce militant et toi ont plus de choses en commun que de différences idéologiques, et ça me fait mal au cœur de voir que ces deux approches complémentaires peuvent se bouffer le nez pendant qu'à côté Jean-Charles se frotte les mains en se régalant du spectacle de la division qu'il a créée...

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    1. Bonjour Harmony. Tu as tout à fait raison sur les points communs qu'on a sur nos luttes et sur l'importance et la nécessité de combattre ce racisme structurel qui nous empoisonne l'existence.

      Après ce que je reprochais à cette militante c'est de ne pas vouloir parler de la négrophobie structurelle au Maghreb et des conséquences que ça peut avoir dans les relations entre noirs et maghrébins. Après, on n'est pas obligé.e.s d'en parler publiquement pour que les Jean-Charles et compagnie jubilent de nos divisions. Mais utiliser les mêmes stratagèmes que les blancs pour éviter de parler d'un sujet qui fâche, ça me surprend.
      À mes yeux c'est un sujet important et on ne peut pas laisser ça de côté. À un moment faudra jouer carte sur table, j'attends ce moment avec impatience.


      En tout cas ton analyse est excellente! Je n'ai rien à redire là dessus :)

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